Du 21 avril au 16 juin 2018
Exposition personnelle des gouaches et huiles de Jacques Godin
Á Adèle
ET VOICI BIEN MA TERRE…
Jacques GODIN – 18 Blockhaus Tronoen Jacques GODIN – 18 affiche expo Suite Bigoudène Jacques GODIN – 18 Carton virtuel de l’invitation Jacques GODIN – 18 La digue – Lesconil Jacques GODIN – 18 Chantier naval Jacques GODIN – 18 Matinale sur le polder Jacques GODIN – 18 Rue de la coopérative- Ile Tudy Jacques GODIN – La Palud Jacques GODIN – 18 Marée montante Ile Tudy Jacques GODIN – 18 Crépuscule sur la rivière de Pont-L’Abbé Jacques GODIN – 18 Prat Meur -Plozevet Jacques GODIN – 18 La maison du boulanger Ile Tudy Jacques GODIN – 18 Roches noires à Prat Meur Jacques GODIN – 18 Vers le Treustel Jacques GODIN – 18 Rochers de Saint Guénolé Jacques GODIN – 18 Les Perdrix 3 – Loctudy Jacques GODIN – 18 Mares bleues – Ile Tudy Jacques GODIN – 18 Tempête à Saint Guénolé Jacques GODIN – Suite Bigoudène Jacques GODIN – 18 Soir d’été à Saint Guénolé Jacques GODIN – 18 Pointe de Penmarc’h Jacques GODIN – 18 Nuages Port de Loctudy
Il est un pays dont le nom des lieux résonne en moi comme une chanson d’amour. Un pays où le ciel et la mer s’étreignent dans le souffle du vent. Où le bleu et le mauve ont des reflets de rose quand la terre s’éveille aux brumes matinales. Un pays de brandes sauvages et de genêts en fleurs. C’est ici que je suis né et que je vis aujourd’hui parmi les miens, dans ce Pays bigouden où les yeux des gens en disent plus long que leurs silences.
Comme de nombreux enfants dont les parents sont venus travailler « à la Capitale » dans les années 50, j’ai grandi à Paris où nous habitions dans le XVIIe arrondissement, rue des Dames. J’aimais beaucoup ce quartier populaire, ses commerçants, le square, le marché aux Moines, les grands cinémas de la place Clichy où j’allais chaque semaine avec mon père, les trains à vapeurs de la gare Saint-Lazare que je regardais partir derrière les grilles du Pont de l’Europe, comme dans un tableau de Manet. Mais derrière la lourde porte cochère de l’immeuble où nous vivions, j’imaginais souvent me retrouver d’un seul coup devant l’océan, là-bas au bout du monde, dans cette Bretagne lointaine, exotique, dont je ressentais l’appel, et qui m’apparaissait si singulière et si proche à la fois.
Très tôt j’ai compris la chance qui m’était donné d’appartenir à cette culture si riche et si authentique, d’être de ce pays dont la beauté n’a jamais cessé de m’éblouir et de m’inspirer. Sûrement l’éloignement m’y a quelque peu aidé, car ce n’est pas en Bretagne que j’ai découvert mes racines, mais à Paris, et plus précisément dans les années 70 où démarra le renouveau de la culture bretonne avec ses festou noz, la musique, la littérature, la poésie… Bien que très impliqué dans ce mouvement, j’ai cependant pris mes distances avec les revendications identitaires, ayant vite compris qu’il y avait derrière tout ça une intention forte de donner l’image d’une Bretagne éternelle, qui n’était parfois que pure invention. Ma curiosité m’ayant poussé à fouiner dans les coins et recoins de notre histoire, quelques zones d’ombre m’avaient mis la puce à l’oreille. Ma mère n’avait jamais dansé la gavotte, ni l’andro, dans les festou noz qui n’existaient pas en Pays bigouden, mais la valse et le paso doble dans les bals flonflons, et ne comprenait rien à cette novlangue bretonne enseignée dans certaines écoles, dont les origines nauséabondes, tout comme ce drapeau « Gwen ha du », très beau au demeurant, n’honoraient en rien la Bretagne que j’aimais et dont je me fais aujourd’hui l’ambassadeur à travers ma peinture. Oui ! Celle que j’aime renvoie à cette beauté universelle tournée vers le monde. C’est celle que chante mon ami Melaine Favennec : « Mon Pays, c’est l’univers, l’univers ça commence là où je suis ». Ainsi je réfute le terme réducteur de peintre breton, que l’on m’octroie trop souvent, mes paysages de Bretagne ne constituant qu’un thème parmi d’autres, dans l’éventail et le corpus des sujets qui vont souvent puiser leurs sources ailleurs, au-delà des frontières.
Depuis des années, je n’ai cessé d’arpenter les rivages et les chemins creux de ce pays, à la recherche de nouvelles compositions, évitant les écueils de l’anecdote illustrative, pour me plonger dans la représentation organique du réel, en cherchant à exprimer dans le tableau l’évidente présence de ce qui doit être essentiel. Ainsi, nul ne chante mieux la Bretagne que celui qui la débarrasse de tous ses oripeaux pittoresques et folkloristes pour la projeter dans sa dimension universelle, intemporelle et en tous lieux.
J’ai marché, marché… de la pointe de Sainte-Marine à Pors Poulhan en passant par la Baie d’Audierne l’un de mes lieux de prédilection. Souvent me venait en mémoire la poésie de Xavier Grall, ou de Paol Keineg tant lues et relues dans mon adolescence, celle d’Yvon Le Men qui m’écrivit deux poèmes en hommage à mes vitraux de la chapelle de Beuzec, et cette carte reçue de Per Jakez Hélias, quelque temps avant sa mort, pour m’encourager dans mon travail. Et puis, plus récemment, suite à une commande de vitraux pour la chapelle de Lanvern, je suis retourné sur les traces de mes ancêtres. Dans cette campagne luxuriante, à l’ombre des talus et le long des ruisseaux qui serpentent entre les marais d’aulne, j’ai marché…
La terre résonnait du pas des chevaux, de ces hommes et de ces femmes, sur cet axe que notre famille appelait la route des chapelles et que nous empruntions régulièrement à pied pour rejoindre le petit hameau de Kerruc où habitaient ceux que l’on nommait affectueusement « les vieux ». Fief du clan des Kervévant, où demeuraient aussi la famille d’Anita dont l’arrière-grand-père François était un frère de mon trisaïeul, ils vivaient là sur la terre-battue, au lieu-dit « Moitié-route », à égale distance de Pont-l’Abbé et de Plonéour-Lanvern, dans ce petit îlot au cœur du bocage bigouden, à l’écart de la « grand-route », loin des bouleversements du monde moderne qui allaient transformer la topographie du paysage dans les années 70, quand fleurirent les bulldozers et les marteaux-piqueurs du remembrement. Un petit lopin de terre, une vache, quelques poulets deux cochons et des lapins, tels étaient leurs seul biens. Paysans de leur état, ils étaient pauvres. Métayers, le penty ne leur appartenait pas, n’avaient pas l’électricité, ni l’eau courante. Une vie difficile, avec onze enfants à nourrir, marquée par les guerres et les cicatrices du temps. Au pays du « cheval d’orgueil », ils ne laissaient jamais transfigurer leurs douleurs intérieures. Nous étions à la fin des années soixante et pourtant le XIXe siècle étaient encore présent dans cette région du Finistère.
Ils s’appelaient Anna-Marie Le Bleis et Youenn Kervévant, ne parlaient pas le français. Ils étaient mes arrière-grands-parents. Il est parti en 1969 le Grand Youenn, comme on le surnommait, rejoindre ses amis morts pour la France, sur les champs de bataille du chemin des dames, d’où il revint, seul survivant de sa compagnie. Il est parti avec ses paysages intimes, ses silences et ce « boulouten » sur sa tête, qu’il ne quittait jamais. Je garde en mémoire l’odeur de son gilet de velours noir quand je me blottissais enfant contre lui. Anna-Marie l’a suivi quelques semaines plus tard, elle dont le nom signifiait « le loup », et qui avait vécu sa jeunesse au lieu-dit « Lescoulouarn », le repère du renard. Ne manquait plus que la belette pour que juste soit la fable.
C’est un hommage à ce pays pré-nommé Cap Caval, à ces hommes et ces femmes réunis autour de tables fraternelles, que je voulais rendre aujourd’hui à la Galerie en Ré, en complicité avec ma cousine Anita.
«… Voici venir ailé de nuages ,
le sourire d’une mère,
cheveux blancs en bandeau de lumière.
C’est bien ici ma terre
la vallée de mes amours. »
Jacques Godin, Pont-l’Abbé le 30 mars 2018
Le texte en italique est extrait de la chanson « Le retour » d’Émile le Scanv dit Glenmor.
*Cette exposition thématique dont l’intitulé « Suite bigoudène » s’inspire de la structure des danses traditionnelles, consacrée aux rivages et paysages marins, constitue le premier volet d’un triptyque que « la terre » et « les gens » viendront compléter ultérieurement.